- AMÉRIQUE PRÉCOLOMBIENNE (archéologie et art) - Amérique du Sud
- AMÉRIQUE PRÉCOLOMBIENNE (archéologie et art) - Amérique du SudLES HAUTES CULTURES PRÉCOLOMBIENNESDans l’Amérique du Sud préhispanique, les hautes cultures se développèrent dans la partie occidentale du sous-continent et principalement dans les régions dites andines qui incluent les basses terres bordant l’océan Pacifique. Ces régions andines s’étendent sur plus de 4 000 kilomètres de longueur depuis le rivage caraïbe jusqu’à l’île de Chiloé (où commencent, dans le sud du Chili actuel, des territoires presque inhabités encore de nos jours). Elles présentent une infinie variété de paysages et de milieux naturels depuis les déserts arides jusqu’aux forêts équatoriales, en passant par les vallées et les hauts plateaux des cordillères. Ces environnements ont souvent influencé l’évolution des divers groupes culturels préhispaniques qui s’y établirent. Quelques-uns purent exploiter des territoires assez uniformes mais riches, où ils se procuraient la majorité de leurs moyens de subsistance. D’autres, en revanche, occupèrent plusieurs milieux naturels voisins, différents et complémentaires. D’autres encore durent mettre en valeur leurs territoires en les transformant ou en y cultivant des plantes alimentaires souvent hybridées à partir d’espèces d’origine sauvage.Ce n’est que pour les groupes culturels contemporains de la conquête espagnole que des sources écrites, rédigées par les chroniqueurs espagnols et par des descendants acculturés de ces Amérindiens, apportent quelques observations directes. Avant cette période de contact, l’écriture n’existait pas dans les Andes, et ces civilisations n’ont laissé que des vestiges artistiques et domestiques. Seule l’archéologie, par les fouilles et par l’étude des collections, peut nous restituer partiellement leur mode de vie.L’archéologie des pays andins est très récente par rapport aux archéologies dites classiques; elle ne s’est développée qu’au début du XXe siècle, et les fouilles sont loin de couvrir également toutes les régions ou toutes les périodes. Cependant, malgré les différences qui subsistent encore dans le développement des recherches dans chacun de ces pays, on peut aujourd’hui proposer une succession d’étapes chronoculturelles communes à ces diverses régions.Toutefois, au milieu de ces étapes communes existent des phases culturelles particulières, comme dans les Andes centrales, qui regroupent plusieurs périodes d’unification culturelle sans équivalents connus pour les autres régions andines.Pour étudier ces développements, les archéologues ont adopté des subdivisions chronoculturelles mais aussi géoculturelles, en tenant compte des grandes unités naturelles du monde andin. On distingue ainsi les Andes septentrionales, qui correspondent à la majeure partie de la Colombie actuelle, les Andes équatoriales, incluant le territoire de l’Équateur et une partie de l’extrême nord du Pérou, les Andes centrales, constituées par le reste du Pérou, les Andes circumlacustres des altiplanos péruvo-boliviens du lac Titicaca et les Andes méridionales englobant le sud de la Bolivie, le nord-ouest de l’Argentine et le nord du Chili. Au-delà, dans l’extrême Sud, les groupes amérindiens, essentiellement prédateurs, n’entrent pas dans le cadre des civilisations qui s’épanouirent après la néolithisation.La néolithisation et la période formativeCes périodes, marquées par la sédentarisation des groupes humains à la fin de la période pré-céramique n’apparaissent pas toujours aussi clairement dans toutes les régions andines. Dans les Andes du Nord et équatoriales (dont la synthèse archéologique qui ne débute qu’au milieu des années soixante est moins approfondie que celle des Andes centrales), il subsiste d’importantes lacunes dans les diverses chronologies régionales. Les restes archéologiques de ces premiers groupes sédentarisés y sont bien plus infimes que les vestiges des constructions des époques plus tardives. Il est aussi souvent plus difficile de les repérer que les gisements pré-céramiques qui correspondent à une stratégie d’établissement bien connue à présent. Si les sites des premiers sédentaires n’ont pas été réoccupés ou s’ils ne recouvrent pas des habitations antérieures, leur localisation demeure bien aléatoire.Dans les Andes du Nord, après la période pré-céramique (surtout représentée par des sites des hautes terres de l’intérieur, en particulier sur le haut plateau près de Bogotá), on trouve les premiers signes de cette période de néolithisation sur le littoral caraïbe. Formés principalement d’amas de coquilles, ces sites sont les plus anciens vestiges de sédentarisation associés à une céramique. Ces groupes côtiers inventèrent d’abord la poterie (vers 3500-3000 av. J.-C.) avant d’adopter beaucoup plus tard l’agriculture (vers 1000 av. J.-C.). La diversité de ces premières céramiques (Monsu, Puerto Hormiga, Canapote, Puerto Chacho) indiquerait des développements assez indépendants sur chacun des sites. Cette céramique n’est pas qu’utilitaire: divers motifs incisés ou modelés forment une décoration, géométrique et parfois figurative, qui témoigne d’un réel souci artistique.Sur la côte caraïbe, l’horticulture généralisée ne viendra s’ajouter aux activités de prédation (cueillette, chasse et pêche) que plus tard, bien que certains chercheurs estiment que les débuts de l’horticulture pourraient remonter au Ve millénaire avant J.-C. Des racines comestibles, comme le manioc, furent d’abord cultivées en raison de leur meilleure adaptation au milieu tropical humide que les céréales. À Momil, principal site de référence sur la côte caraïbe, la culture du manioc est attestée dès 1000 avant J.-C. environ, mais son introduction y est sans doute plus ancienne. Dans une seconde phase, plus tardive, vers 200 avant J.-C., le maïs apparaît, peut-être à la suite de contacts avec la Mésoamérique. Pour certains spécialistes de cette période, le maïs joua alors un rôle capital dans l’évolution de ces sociétés d’agriculteurs. Il permit de produire beaucoup plus aisément d’importants surplus faciles à conserver. Il favorisa en outre la diffusion de ces populations vers l’intérieur du pays, où se trouvaient des terres bien drainées, propices à sa culture.Sur la côte centrale de l’Équateur, sur le site de Vegas, au moins depuis 2500 avant J.-C. (peut-être depuis 6000 B. P. selon les phytolithes), des groupes humains qui ne sont pas encore céramistes pratiquent déjà l’horticulture (maïs) en complément de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Vers 3000 avant J.-C., au début de la période formative, les céramistes de Valdivia ne présentent pas tous la même évolution économique: certains dépendent encore beaucoup d’activités prédatrices (pêche, chasse et cueillette), alors que d’autres produisent déjà par l’agriculture l’essentiel de leur alimentation.Ces groupes de la culture Valdivia ont une économie qui unit divers types d’établissements à travers des rapports de complémentarité: de là naissent, peut-être, les transformations successives du principal site de cette époque, Real Alto. Petite agglomération au départ, Real Alto devint un grand centre cérémoniel commun à plusieurs villages satellites voisins.La céramique Valdivia n’est peut-être pas la plus ancienne céramique américaine, car le débat reste ouvert sur la datation précise de l’apparition des premières céramiques des régions équatoriales et caraïbes. Mais c’est, sans nul doute, celle qui nous a laissé les plus anciens témoignages d’art plastique de toute l’Amérique. Ses figurines féminines en céramique (souvent appelées Vénus) sont de petite taille, de l’ordre d’une dizaine de centimètres. Parfois, un engobe rouge sombre recouvre tout le corps, seul ornement avec la coiffure, représentée par de fines incisions. Certaines, très rares, possèdent toutefois des détails plus précis: par exemple un ventre proéminent qui représente peut-être une grossesse ou encore deux têtes jumelles accolées sur un même corps.Après la culture Valdivia, la culture Machalilla correspond, entre 2250 et 1300 avant J.-C., à la période du Formatif moyen de la région équatoriale. Beaucoup moins bien connue, son influence culturelle est cependant importante et son rayonnement dépasse de loin les étroites limites géographiques de la culture Valdivia.Vers 1300 avant J.-C., une nouvelle culture formative, Chorrera, prend le relais de celle de Machalilla: cette nouvelle tradition semble être davantage un amalgame de cultures de tous les groupes peuplant alors la région équatoriale. Plusieurs styles caractérisent cette céramique du Formatif final; elle est présente non seulement dans la région côtière, mais aussi à l’intérieur des terres. Elle atteint un niveau d’expression artistique qui sera rarement égalé par la suite et atteste de techniques de fabrication parfaites.À côté de récipients aux formes fonctionnelles, la céramique Chorrera produit des vases zoomorphes ou phytomorphes qui traduisent l’attention portée par ces artistes à leur environnement. En outre, d’admirables figurines, en céramique elles aussi, reproduisent des personnages, le plus souvent debout, dans une attitude hiératique.Au cours de cette période du Formatif final, les groupes s’organisent en chefferies complexes qui forment la base de l’organisation sociopolitique dans les Andes équatoriales.On reconnaît différents styles chorreroïdes qui démentent l’unité naguère supposée de la culture Chorrera. Cette variété des styles de la céramique se relie toutefois à une même tradition culturelle, très visible dans la technologie. Entre 500 et 300 avant J.-C., ils donneront à leur tour naissance à de nouveaux styles régionaux, parfaitement différenciés entre eux. Si cette filiation est claire pour les régions les mieux connues (la côte en particulier), l’apparition de ces styles régionaux marque cependant, dans la chronologie des Andes équatoriales, la fin de la période formative tardive.Si les données chronoculturelles sur les Andes du Nord et équatoriales présentent une certaine analogie pour les périodes pré-céramique et formative, celles qui concernent les Andes centrales (beaucoup plus étudiées, il est vrai) montrent qu’elles ont connu une évolution différente. Les datations obtenues pour les premières traces attestées d’horticulture dans les Andes centrales sont antérieures, parfois de plusieurs millénaires, à celles qui ont été obtenues dans les Andes septentrionales et équatoriales. On y observe également des développements séparés pour les groupes humains de la sierra et ceux de la région côtière.La sierra présente les traces les plus anciennes de cette néolithisation: vers 6800-6200 avant J.-C., puis vers 5700 avant J.-C., deux variétés de haricots y sont cultivées (site de Guitarrero). Un peu plus tard, vers 5500-4300 avant J.-C., la culture des courges et des calebasses est attestée dans le bassin d’Ayacucho. Le maïs apparaît en divers points de la sierra entre 5500-4000 avant J.-C. Dès 4000 avant J.-C., l’élevage du lama est attesté dans la sierra mais les premières domestications pourraient remonter au VIe millénaire avant J.-C.C’est donc avant le Ve millénaire que se produit le passage à une économie de production dans les endroits les mieux connus et, sans doute, les plus favorisés de la sierra. Sur la côte, la culture de la courge, de la calebasse et du coton apparaissent vers 3000 avant J.-C., suivies peu après par celle du maïs. Le haricot (cultivé dès 3250 av. J.-C. à Chilca) ne devient fréquent sur les sites côtiers qu’à partir de 2500 avant J.-C. C’est aux environs de cette date que s’établit une production agricole côtière associée au développement des premiers centres urbains (Aspero, Río Seco, El Paraiso). Ceux-ci montrent déjà une diversité de modèles urbanistiques: bourgs ou villages habités (Culebras), grands ensembles publics ou cérémoniels (Aspero, Río Seco, Bandurria, Los Gavilanes).En revanche, dans la sierra, de tels centres apparaissent un peu plus tardivement, vers 2000-1500 avant J.-C. (sites de Kotosh, Shillacoto, Huaricoto, La Galgada ou Piruru). Cette première architecture monumentale semble être étroitement liée, dans certains de ces centres, aux pouvoirs politiques et religieux qui contrôlent alors une population composée d’agriculteurs.La période formative débute vers 1800 avant J.-C. alors que de très nombreux groupes humains sont déjà sédentarisés. Leur économie associe aux anciennes pratiques prédatrices de chasse, de pêche et de cueillette des techniques de production: agriculture et élevage, mais aussi tissage, puis céramique. Au fil des siècles, ces techniques se perfectionneront, en particulier grâce à la sélection des plantes alimentaires, fondamentale dans les Andes centrales en raison des contraintes climatiques dues aux altitudes élevées de la sierra ou à l’aridité de la côte. Avant même l’apparition de la céramique, les groupes des Andes centrales réalisaient des tissus, d’abord sans métier à tisser, puis de textiles faits au métier. Parmi les plus anciens témoignages d’expression artistique, des calebasses gravées, découvertes sur la côte centrale à Huaca Prieta, montrent une certaine ressemblance avec les décors de la céramique Valdivia.Vers 1800 avant J.-C., la céramique fait son apparition dans les Andes centrales: les plus anciennes poteries connues montrent de fortes analogies formelles avec la vannerie (phase Wayra Jirka de Kotosh).Entre 1800 et 800 avant J.-C., dans les hautes terres de la sierra apparaissent divers styles de cette céramique initiale, associés à des sites architecturaux, d’abord dans le nord (Pacopampa, Huacaloma, Vesopampa, Urabarriu), puis, plus tard, dans le Sud (Waywaka, Marcavalle, Chiripa). Sur la côte, ces styles initiaux sont principalement concentrés au nord et au centre, et souvent associés à des centres cérémoniels (Guanape, Las Haldas, Caballo Muerto, Garagay, Curayacu). Mais on retiendra surtout les styles, un peu plus tardifs, de Cupisnique et de Chavín, datant de la fin du Formatif.Vers 1200 avant J.-C. selon la chronologie la plus longue (mais seulement vers 850 avant J.-C. selon une chronologie plus courte), Chavín de Huantar, dans la sierra nord du Pérou, devient un pôle culturel de toute première importance. Le rayonnement de cette culture Chavín marquera l’ensemble des Andes centrales pendant cette dernière partie de la période formative. Le vaste centre cérémoniel de Chavín diffuse alors son influence et étend son hégémonie dans les Andes centrales, unifiées pour la première fois sous le contrôle d’un puissant système théocratique.L’art de Chavín s’exprime surtout dans la sculpture et dans la céramique. Les décors, gravés sur la pierre, modelés ou incisés dans l’argile, montrent des créatures mythologiques qui associent des traits humains à des traits animaux. Un réseau de lignes courbes enchevêtrées allie des crocs et des griffes de félin, des volutes serpentiformes ou encore des becs acérés à des éléments humains. L’imbrication de ces motifs en rend parfois la lecture difficile. On reconnaît toutefois clairement au milieu de ces motifs la divinité principale de Chavín, mi-humaine mi-féline, parfois associée à des divinités secondaires, elles aussi anthropo-zoomorphes. Pendant de longs siècles, Chavín imposera le culte de ses dieux et son hégémonie aux populations des Andes centrales: jusqu’aux limites nord du Pérou et sur la côte sud, on retrouve les images de ses divinités reproduites sur la poterie. Vers 400-200 avant J.-C., le temple de Chavín est en partie détruit. Le grand centre cérémoniel semble être abandonné et, partout dans les Andes, les styles dérivés de Chavín déclinent, sans doute en même temps que les pouvoirs de son clergé.L’unification culturelle de Chavín est remplacée par une diversification des cultures qui caractérisent la période des Développements régionaux.Dans les Andes méridionales, la période formative ne revêt pas la même importance. Elle se limite à l’apparition, beaucoup plus tardive, d’une céramique qui ne correspond pas à une phase initiale au Chili (phase El Molle) et dans le Nord-Ouest argentin (phase Condorhuasi). Toutes les deux semblent reliées aux phases Chiripa et Qalayu du Formatif final des Andes centrales et circumlacustres. Une phase culturelle du Nord-Ouest argentin, Alamito, plus tardive, mérite une attention particulière: sa sculpture en pierre, aux formes très modernes, demeure sans équivalents dans les Andes.La période des Développements régionauxLe Développement régional dans les Andes du NordDans les Andes du Nord apparaissent diverses manifestations régionales qui se répartissent principalement le long des axes nord-sud formés par les deux vallées du Magdalena et du Cauca. Dans le cours moyen de Magdalena, le principal fleuve des Andes du Nord, les régions de Tamalameque, de Mosquito, du rió La Miel, sites éponymes de ces cultures, ont livré des vestiges funéraires permettant de suivre la diffusion de plusieurs traits culturels homogènes (tels les enterrements en urnes funéraires) le long de cet axe culturel de peuplement.L’unité des figurines humaines ornant ces urnes et celle des restes qu’elles contenaient semble indiquer un assez faible niveau de différenciation sociale dans les premiers groupes qui s’installèrent à l’intérieur des terres. Cette relative égalité de statuts est peut-être un vestige de la période antérieure; elle ne se maintiendra pas au cours des siècles suivants.Toutefois ces cultures, dites régionales, ne se relient pas toutes à cette seule origine caraïbe qui essaime dans les hautes terres depuis la fin du Formatif. Dans le Sud se développent séparément de ces groupes venus de la côte caraïbe, des groupes apparentés soit à ceux du littoral nord-équatorial, soit à ceux du monde amazonien, proche du massif andin colombien.Sur la côte pacifique, la culture Tumaco (qui fut longtemps supposée d’origine mésoaméricaine) constitue un prolongement septentrional d’une culture spécifique du littoral équatorial. Elle débute aux environs de 300 avant J.-C. et prend fin vers 100-200 après J.-C. lorsque cesse l’influence exercée par La Tolita, en Équateur.Dans le haut Magdalena, les régions voisines de San Agustín et de Tierradentro sont occupées par des groupes, déjà sédentarisés, qui connaissent la céramique et développent un système d’exploitation de ce milieu tropical d’altitude moyenne qui inclut à la fois la culture des plantes de la forêt et celle de plantes andines.Après ces premiers développements apparaissent, au cours du Ier millénaire après J.-C., de nouveaux groupes régionaux. Ils correspondent à une forte augmentation démographique et à une maîtrise de plus en plus grande des moyens de production agricole qui entraîna une implantation toujours plus importante à l’intérieur des terres. De très nombreux vestiges archéologiques (céramique, orfèvrerie, statuaire) montrent une nette évolution par rapport aux groupes antérieurs. Malgré leurs différences culturelles, ces nouveaux groupes peuvent être réunis sous le nom de chefferies sub-andines. Ces chefferies se caractérisent par un ensemble de traits sociaux économiques et politiques communs, et supposent une seule autorité politique, détenue par un chef unique, le cacique. Elles possèdent une homogénéité aussi bien culturelle (langue et coutumes) que territoriale et politique. Leurs territoires dépassent souvent de beaucoup ceux d’une simple alliance de villages et sont fortement structurés par le système politique: l’autorité principale s’appuie sur celle des caciques secondaires locaux. Ceux-ci dominent une population composée de paysans et d’artisans faisant partie de la chefferie, mais aussi de captifs venus d’autres chefferies, au statut proche de l’esclavage. Dans la chefferie, les chamans jouent un rôle de médecin-guérisseur, d’astronome, de sa vant mais surtout sont les intermédiaires entre les hommes et les puissances surnaturelles qui régissent l’équilibre du monde environnant. Leurs pouvoirs et leurs connaissances assurent la survie du groupe qui ne pourrait, sans leurs intercessions et leur sagesse, vaincre les difficultés qu’il doit affronter continuellement.Ces chefferies sub-andines purent aussi mettre en valeur plus efficacement les territoires qu’elles occupaient par leur capacité de mobiliser une main-d’œuvre nombreuse pour réaliser d’importants travaux: vastes systèmes d’irrigations et de drainages, construction de terrasses et de plans inclinés.Les chefferies se perpétueront dans la majeure partie des Andes du Nord jusqu’à la conquête espagnole, sans jamais évoluer vers une autre forme politique, à l’exception de celles des Muiscas et des Taironas. Ces deux chefferies se trouvaient sur de grandes aires dont les archéologues se servirent longtemps pour définir les cadres de la chronologie culturelle des Andes septentrionales. Dans le Nord, les régions du río Sinu et du río San Jorge, situées entre le littoral caraïbe et le piémont des cordillères, furent occupées par plusieurs groupes importants, qui drainèrent ces basses-terres marécageuses. Dans le centre, la moyenne vallée du río Cauca et la moyenne vallée du río Magdalena furent occupées par des chefferies nombreuses. L’une d’entre elles, celle des Quimbayas, qui n’occupait qu’un petit territoire à l’époque de la Conquête est, sans doute à tort, considérée comme l’auteur de la très belle orfèvrerie découverte dans tout le Quindio et la moyenne vallée du Cauca. Un peu plus au sud, dans la région du río Calima, remarquable par le style d’orfèvrerie qui porte son nom mais aussi par la céramique de ses phases culturelles successives (Ilama, Yotoco et Sonso), étaient également installées des chefferies sub-andines. Au sud se sont développées les chefferies de la vallée du haut Cauca et du «massif colombien», mais les plus célèbres sont celles des régions de Tierradentro et San Agustín, près des sources du río Magdalena, dont la statuaire est exceptionnelle. Enfin, à l’extrême sud, dans la région des hauts plateaux commune à la Colombie et à l’Équateur étaient situées plusieurs chefferies représentées par des phases culturelles successives que l’on peut rattacher au Développement régional de la sierra des Andes équatoriales (phases Capuli, Piartal, puis, vers l’époque de la conquête, Tuza).Le Développement régional dans les Andes équatorialesCette nouvelle période s’ouvre vers 300 avant J.-C. et relaie celle du Formatif final. Alors que l’hypothèse d’une origine non équatoriale pour toutes ces cultures fut longtemps l’unique explication, on pense à présent qu’elles naquirent d’une mutation des cultures antérieures. Cela n’exclut pas que des rapports aient pu être établis, parfois à longue distance, mais les données archéologiques et les contraintes maritimes plaident en faveur d’une réelle continuité entre les deux périodes. Parmi ces cultures régionales, celles des groupes côtiers font preuve d’une grande variété de production et d’un renouveau d’invention, en particulier dans l’art de la céramique. Sur le littoral nord, on observe un rayonnement culturel à partir de l’île de La Tolita. La culture La Tolita-Tumaco se développe sur plusieurs centaines de kilomètres de côte, de part et d’autre de la frontière colombo-équatorienne, engendrant des styles comme celui de Tiaone, près d’Esmeraldas. Elle entretient aussi des contacts étroits avec la culture voisine de Jama-Coaque, dont la céramique présente des points communs avec la céramique La Tolita-Tumaco. Un peu plus au sud se développe la culture Bahia de Caraquez, dont les figurines en céramique, d’une riche polychromie, atteignent parfois les dimensions de la statuaire. Une autre culture côtière, Guangala, se développe sur les territoires auparavant occupés par les groupes du Formatif ancien et moyen. À l’extrême sud, très isolée du reste du pays, la culture Jambeli, encore mal connue, témoigne de la présence de groupes humains pendant cette même période.Dans les hautes terres, la période de Développement régional est représentée par les groupes de la culture Tuncahuan, occupant la sierra du centre et du nord, ou par ceux de la région de Cerro Narrio, au sud, poursuivant l’occupation de la période formative. Dans leur ensemble, les témoignages laissés par ces cultures de la sierra sont beaucoup moins spectaculaires que ceux qu’on relève dans la région côtière qui connaît alors un développement exceptionnel.Cette période se caractérise aussi par un important essort de technologies complexes, comme le travail des métaux précieux. Dans la région côtière du Nord, la culture La Tolita-Tumaco fait preuve d’une maîtrise toute particulière en ce domaine: l’or, mais aussi les alliages de cuivre et d’or, le platine servent à fabriquer divers ornements et insignes de pouvoir. La nécropole de La Tolita montre que ces richesses accompagnaient les plus importants défunts, exigeant un approvisionnement constant des orfèvres en métaux.Toutes ces cultures paraissent avoir atteint un très haut degré de diversification sociale. Les figurines de céramique ne représentent pas seulement les plus importants personnages: caciques, chamans, guerriers, mais aussi des êtres plus humbles – marins, chasseurs, fileuses ou cuisinières.Dans les Andes équatoriales, la guerre ne semble pas avoir existé à cette époque. Ce probable état de paix permet de supposer qu’un système commercial unissait alors les chefferies équatoriales. Peuples côtiers, ces chefferies mirent à profit leurs expériences maritimes pour échanger leurs produits au lieu de les obtenir par la force chez leurs voisins. Vers 300 après J.-C., les cultures de la période du Développement régional entrent en récession ou disparaissent, comme sur la côte nord, ou subissent une nouvelle mutation. Alors s’ouvre dans les Andes équatoriales la période dite d’Intégration, qui durera un peu plus d’un millénaire, jusqu’à la conquête inca.Le premier Développement régional dans les Andes centralesLa fin de l’hégémonie de Chavín dans les Andes centrales marque une forte reprise des régionalismes. Leurs productions sont diversifiées contrairement à celles de Chavín. Avec les cultures qui se développent dans le nord du Pérou, dans la partie basse des nombreuses vallées côtières surgissent plusieurs styles régionaux qui produisent une abondante céramique, une architecture en adobe (briques crues) et une riche orfèvrerie. À partir des environs de 400 avant J.-C., les cultures de Vicus, de Salinar et de Gallinazo figurent parmi les plus remarquables. Vers 100 avant J.-C., la culture des Mochicas, qui succède à la culture Salinar, va réunifier une grande partie de la côte nord du Pérou et s’épanouir jusqu’aux environs de 600 après J.-C. La céramique mochica est le plus exceptionnel témoignage des développements artistiques de cette nouvelle période: les vases-portraits antropomorphes, les vases zoomorphes ou phytomorphes reproduisent avec un art figuratif d’un grand réalisme les hommes et leur environnement. À ces images modelées dans l’argile viennent s’ajouter celles de scènes, souvent complexes, peintes sur des poteries aux formes plus simples. Les Mochicas furent aussi de grands bâtisseurs, construisant leurs lieux de cultes et leurs édifices funéraires en superposant de grandes plates-formes constituées de plusieurs millions d’adobes. Le plus gigantesque de ces ouvrages, la Huaca del Sol, dans la vallée de Moché, est une pyramide à degrés haute d’environ 50 mètres à l’origine et qui compte cinq plates-formes superposées. Son édification prit plusieurs siècles et nécessita plus de 140 millions de briques crues.L’orfèvrerie mochica est remarquable par ses formes et sa technologie. Sur le site de Sipan, une grande huaca en adobes et la découverte à la fin des années quatre-vingt de sépultures encore intactes en ont révélé la richesse: les corps des seigneurs-prêtres étaient entourés d’innombrables offrandes et entièrement couverts d’ornements en or et de pierres précieuses.Sur la côte centrale, s’il n’existait pas alors de cultures aussi importantes que dans le Nord, la présence de grands centres cérémoniels, comme Pachacamac (près de Lima), atteste toutefois une occupation dense. Plus au sud, dans la péninsule de Paracas, puis dans la région voisine de Nazca, s’épanouirent deux grandes cultures. À Paracas, dans des sépultures creusées dans le sable furent retrouvées d’innombrables momies, préservées par l’aridité du désert (phase Paracas-Necropolis), ainsi que des textiles ornés de broderies figuratives représentant des divinités ou des êtres mythiques, souvent anthropozoomorphes.La culture Nazca a produit un peu plus tard une céramique exceptionnelle par sa polychromie, utilisant une dizaine de couleurs et un nombre infini de nuances. Son iconographie reprend parfois certains motifs des textiles Paracas. Cette culture est souvent associée aux fameux géoglyphes couvrant le désert de la pampa de Nazca. Ces dessins zoomorphes et ces lignes droites, souvent appelées «pistes de Nazca», furent tracés dans le désert à grande échelle en enlevant les couches minérales patinées à la surface du sol, faisant ainsi apparaître les motifs en plus clair. Leur rôle demeure mal connu mais semble lié à des observations astronomiques. Quant à leurs motifs zoomorphes, s’ils figurent aussi sur les vases Nazca, ils seraient néanmoins un peu plus tardifs et seraient donc une récurrence de thèmes empruntés à cette culture.Dans la sierra, ces premiers Développements régionaux sont moins bien connus: la culture de Cajamarca, au nord, a laissé une poterie élaborée et celle de Recuay, proche de la région de Chavín, une statuaire de pierre au style unique dans les Andes centrales. Plus au sud, dans la région d’Ayacucho, s’est développée la culture Huarpa qui recevra, plus tard, des influences de la région de Nazca et de celle des hauts plateaux boliviens, près de Tiahuanaco. Cet amalgame donnera naissance à la culture Huari, qui réunifiera les Andes centrales à partir de 600 après J.-C.La région de Cuzco, encore très mal connue en dehors de la période inca, a toutefois livré les vestiges d’une occupation remontant à la période formative. La phase Marcavalle correspond à un premier développement urbain, associé à divers témoignages d’une économie pastorale et agricole évoluée.Dans les Andes centrales du Sud et dans la région du lac Titicaca apparaissent, à partir de 200 avant J.-C. environ, les cultures Pucara et Chiripa. À Pucara subsistent les ruines d’un vaste ensemble où résidaient les élites dirigeantes de cette culture, comparable en complexité, selon certains, à celle de Chavín. Dans l’extrême sud, la région circumlacustre connaît un développement dont l’aboutissement sera la culture Tiahuanaco. Dès sa phase d’occupation ancienne (Kalasasaya), ce site célèbre fut occupé et les premiers bâtiments y furent construits, comme le temple semi-souterrain qui sera réaménagé au cours des époques postérieures, quand Tiahuanaco deviendra l’établissement le plus important de toute la région circumlacustre.Isolées au milieu des punas où l’altitude (près de 4 000 m) impose une pratique particulière et limitée de l’élevage et de l’agriculture, les populations parvinrent toutefois à s’étendre vers des terres plus basses et plus chaudes, leur donnant accès à des produits impossibles à obtenir en haute altitude. Comme pour Huari, les cultures Pucara et Chiripa, en contact étroit avec la région de Tiahuanaco, évolueront pour donner naissance à un nouveau développement culturel qui rayonnera au sud du lac Titicaca, à partir du grand centre cérémoniel de Tiahuanaco, entrant aussi en relation avec les cultures des régions côtières, comme Nazca.Il se constitue alors, dans un vaste ensemble compris entre Huari et Tiahuanaco, dans la sierra mais aussi le long de la côte de Nazca, un creuset culturel qui transformera les Andes centrales. Les échanges d’influences politiques, religieuses et artistiques y aboutiront vers 600 après J.-C., à l’émergence d’une nouvelle unification des Andes.De l’émergence des États séculiers à la formation de l’empire incaLes hégémonies de Tiahuanaco et de HuariÀ partir du VIIe siècle après J.-C. environ, Tiahuanaco et Huari manifestent, sous des formes différentes, un fort développement hégémonique. Tiahuanaco devient un grand centre cérémoniel drainant les populations des hauts plateaux. De vastes édifices en pierre y sont construits, dans lesquels de hautes sculptures monolithiques reproduisent les divinités d’un culte qui se répand alors dans les Andes centrales. Parmi ces sculptures, la célèbre Porte du Soleil (peut-être un calendrier crypté) reproduit en son centre l’image du dieu principal, entouré d’une frise de divinités ailées. Cette image, reproduite ainsi sur la céramique, est fréquente dans l’iconographie andine de l’époque; elle sera adoptée par la culture Huari, qui la véhiculera à son tour. À cette hégémonie, principalement religieuse, fait pendant l’expansion militaire de Huari dont l’empire s’étend sur la majeure partie des Andes centrales. À cette époque, dans la sierra et sur la côte, de nombreux sites urbains sont construits, entourés de hautes murailles et organisés pour abriter les élites dirigeantes. Ces agglomérations, rigoureusement planifiées, comportent d’innombrables silos et entrepôts, indiquant une centralisation des ressources régionales dans les métropoles. Un tel urbanisme évoque un puissant système administratif, où le pouvoir politique et militaire domine le monde rural. Un accroissement démographique paraît accompagner une mise en valeur des terres agricoles par l’irrigation et la construction de terrasses de culture sur les versants. Huari et son empire contribuèrent au développement économique de la sierra, qui s’est trouvée ainsi dotée de moyens lui permettant d’augmenter notablement sa production.Les proto-États des Andes du NordDans les Andes du Nord, deux régions ont dépassé le niveau d’organisation des chefferies sub-andines auquel sont demeurés la plupart des groupes préhispaniques jusqu’à la conquête espagnole. Dans le haut plateau du Boyaca, les Muiscas ont élaboré un proto-État régi par deux chefs se partageant le pouvoir: le Zipa , dans la région de Bogotá au sud, et le Zaque , dans celle de Tunja au nord. Les Muiscas, installés dans les plus hautes terres, développèrent d’abord une agriculture de céréales (maïs) et de tubercules (pomme de terre). Leur expansion vers des terres plus chaudes leur permit ensuite des cultures plus tropicales. Ils établirent des relations commerciales pour se procurer divers produits comme le coton, utilisé pour les tissus. Leur architecture, composée surtout de matières périssables, a laissé fort peu de vestiges; quelques sites, construits en matériaux durables, subsistent, cependant, tels les alignements de colonnes en pierre du site d’Infiernillo, qui servaient d’observatoire astronomique.L’orfèvrerie muisca est caractérisée par de petites représentations humaines géométriques stylisées, les tunjos , et par des compositions associant plusieurs personnages sur un radeau. Ces derniers objets, plus rares, évoquent la célèbre légende de l’El Dorado: au moment de son investiture, le Zipa, recouvert de poudre d’or, s’immergeait dans la lagune de Guatavita. La céramique, surtout utilitaire, a néanmoins laissé quelques objets spectaculaires, en particulier des récipients anthropomorphes représentant des personnages hiératiques aux yeux «en grain de café» caractéristiques et portant une haute coiffe.Les Taironas, établis dans la sierra Nevada de Santa Marta, dans l’extrême nord, formaient à l’époque de la conquête une puissante confédération contrôlant tout ce massif montagneux et le littoral caraïbe voisin. L’architecture en pierre, exceptionnelle dans les Andes septentrionales, y est représentée par des sites côtiers, tel Pueblito, et par des sites d’altitude dont le plus célèbre, Buritaca 200, appelé aussi la Ciudad perdida, ne fut découvert qu’en 1975.Ces sites se composent principalement de grandes terrasses et de nombreux escaliers, leur donnant accès et drainant les eaux de pluie. Sur les terrasses les plus vastes, des bases circulaires en pierre correspondent aux maisons dont les murs étaient composés de matériaux périssables.L’orfèvrerie tairona, complétée par un très remarquable travail des pierres dures (cornaline, quartz), a produit de nombreux bijoux et ornements, souvent zoomorphes, qui accompagnaient les défunts dans les sépultures. Les objets de céramique caractéristiques de cette culture sont des récipients en forme de serpent lové ou de petits ocarinas (instruments de musique) anthropomorphes ou zoomorphes. De nos jours, les groupes indigènes vivant dans cette région, les Koguis et les Aruacos par exemple, sont considérés comme les descendants directs des Taironas et perpétuent leurs traditions culturelles.La période d’Intégration dans les Andes équatorialesVers 300-500 après J.-C., les cultures du Développement régional connaissent une mutation profonde, ce qui marque, pour l’archéologue, leur entrée dans la période d’Intégration. Toutefois, certaines cultures, sur la côte nord par exemple, ont disparu sans que l’archéologie puisse déterminer la cause précise de leur extinction. De cette période sont connus surtout les groupes qui se prolongèrent jusqu’à l’époque des conquêtes inca puis espagnole. Sur la côte centrale, les populations semblent s’être regroupées en une grande ligne maritime et commerçante dont les membres pratiquaient un trafic à longue distance. Naviguant sur de grands radeaux de balsa, ils exportaient leurs produits vers le Pérou, en particulier le spondyle, coquillage recherché pour les rites religieux dans les Andes centrales. Ces voyages les menèrent aussi vers la Mésoamérique: l’équipage d’un des premiers navires espagnols venant de Panamá croisera en haute mer une de ces embarcations, chargée de produits divers.Dans les hautes terres de la sierra, plusieurs groupes culturels, d’ailleurs mieux connus par les sources ethno-historiques que par les fouilles archéologiques, succèdent de la même manière aux groupes de la période de Développement régional. Des monticules artificiels, les tolas , caractérisent l’architecture de cette période. La plupart constituaient les bases d’édifices à présent disparus. D’autres servirent de tertres funéraires. Elles remplirent parfois, en même temps ou successivement, les deux fonctions.Sur le plan artistique, ces groupes de la période d’Intégration sont beaucoup moins remarquables que leurs prédécesseurs. Sur la côte, des phases Huancavilca, Manta, Milagro-Quevedo n’ont été retrouvés que des vestiges d’une qualité secondaire par rapport aux innombrables œuvres d’art des époques antérieures. Il en est de même pour les cultures de la sierra (Carchi, Cara, Cañar, Puruhuas, Panzaleo), dont quelques rares objets seulement ont une valeur artistique. La plupart de ces groupes, et en particulier ceux de la sierra, connaîtront, peu avant l’arrivée des conquistadores espagnols, la domination des Incas du Pérou. Cet empire expansionniste lia le destin des Andes équatoriales à celui des Andes centrales, éliminant parfois violemment ceux qui lui résistaient.Les royaumes et confédérations des Andes centralesAprès la disparition de l’empire de Huari vers l’an 1000, les Andes centrales connaissent une nouvelle période de Développement régional. Des chefferies se regroupent en confédérations dans les hautes terres de la sierra et sur la côte. D’autres s’érigent en royaumes indépendants. D’importants vestiges témoignent de la puissance politique et du développement artistique de certaines cultures. Ainsi les Chimús, dont le royaume occupait la majeure partie de la côte nord et dont la capitale, Chan-Chan, couvre plus de 20 kilomètres carrés. Cette immense métropole (la plus vaste de l’Amérique andine préhispanique) fut construite en brique crue, à partir de 800 environ. Elle doit son ampleur au fait que chaque roi construisait son propre palais (ou citadelle), celui du prédécesseur devenant un ensemble funéraire.Autour de ces citadelles royales s’étendaient des quartiers populaires: logements et ateliers d’artisans, des édifices administratifs, des entrepôts, ainsi que les résidences de la noblesse et des fonctionnaires. L’organisation de l’architecture de la capitale correspond à la hiérarchisation très poussée de la société chimu. Grands bâtisseurs, les Chimús établirent dans chaque vallée côtière des forteresses et des édifices publics ou religieux; ils y réalisèrent aussi des travaux d’irrigation afin de fertiliser les terres arides du désert. Ces travaux, souvent gigantesques, permettent de considérer les Chimús comme un modèle andin d’État hydraulique, organisé pour obtenir la maîtrise de l’irrigation, clé de leur développement économique. Les Chimús développèrent aussi une orfèvrerie raffinée, employant divers métaux et alliages pour la fabrication de bijoux et insignes de pouvoir. Leur céramique, fabriquée en série par moulage, est généralement monochrome, noire polie ou, plus rarement, rouge brique. Son principal intérêt réside dans les reproductions de personnages et dans les diverses représentations d’animaux ou de plantes. Alliés à la confédération de Cajamarca établie dans les hautes terres du Nord, les Chimús se trouvèrent pris à revers par les troupes incas, qui vainquirent cette puissante confédération. Menacés de perdre l’alimentation de leur réseau d’irrigation, ils se soumirent aux Incas, les nouveaux maîtres des Andes centrales.Sur la côte centrale prédomine, vers 1000-1400, la culture Chancay, dont le site éponyme se trouve au nord de la ville actuelle de Lima. Moins unifiée que le royaume Chimú, elle comporte des sous-unités (Cuismancu au nord, Chuquimancu au sud et Chincha à l’extrême sud). La poterie funéraire, qui a fait l’objet d’un pillage effréné, est le plus souvent recouverte d’un engobe crème, rehaussé de noir. Elle est associée dans les sépultures à de grandes figurines anthropomorphes, des jarres décorées, des récipients usuels et des figurines animales, souvent habillées de textiles décorés de motifs géométiques ou figuratifs. De ces sépultures proviennent aussi des poupées en tissu qui y étaient déposées en offrandes.Dans le nord de la sierra, à proximité du versant amazonien, plusieurs sites ont été découverts dans les années quatre-vingt par des expéditions; ces sites mettent en évidence l’occupation d’une région que l’on croyait inhabitée. Les sites d’El Abiseo (ou Gran Pajatén), de Kuelap ainsi que plusieurs sites funéraires aménagés sur le flanc de hautes falaises couvertes de végétation sont les vestiges les plus remarquables de ces groupes du piémont oriental ouvrant sur l’Amazonie.À cette époque, la sierra centrale est occupée par de nombreux groupes indépendants comme les Huancas, les Chancas, les Quechuas et, bien sûr, les Incas établis dans le bassin de Cuzco, souvent réunis en confédérations puissantes et belliqueuses. Plus au sud, les Qollas et les Lupaqas occupent la région de haut plateau circumlacustre, et forment des royaumes dont l’économie pastorale et agricole est complétée par l’exploitation d’archipels en terres chaudes, situés en contrebas des altiplanos jusqu’à la côte pacifique.La plupart de ces groupes sont organisés en chefferies reposant sur la notion d’ayllu , spécifiquement andine. L’ayllu réunit dans une communauté un ensemble d’individus se reconnaissant des origines, une culture et un territoire communs.Le chef, le curaqa , régit le territoire et les hommes en donnant à chacun l’usufruit d’une parcelle à cultiver, en organisant les travaux de la communauté et en réglant les litiges.La plupart des chefferies ont, durant cette période, une politique expansionniste qui revêt diverses formes. L’organisation en confédérations leur assure certes un ordre interne mais n’évite pas les conflits externes, issus du besoin commun de s’approprier des récoltes, des biens ou des territoires. Dans la sierra, l’agriculture est à la merci d’un climat très contrasté, de gelées précoces ou de pluies mal réparties. Si l’une des réponses à cette incertitude permanente est l’économie verticale, qui multiplie les régions exploitées par une communauté et permet d’établir des alliances économiques, une autre réponse consiste à prendre aux ethnies ennemies leurs biens ou leurs territoires, par le pillage ou par l’invasion armée.Cet état conflictuel prédominait dans l’ensemble des Andes centrales, comme en témoigne l’installation des villages au sommet de promontoires, naturellement défendus. Les alliances entre ethnies voisines assuraient une paix précaire, vite rompue dès que l’une d’entre elles était touchée par une disette ou devenait assez puissante pour attaquer et envahir un trop faible voisin. Cette période du dernier Développement régional des Andes centrales s’acheva d’ailleurs de cette manière, vers 1438. À cette date, la confédération des Chancas, belliqueuse ethnie andine de la région d’Ayacucho, avait envahi le territoire des Quechuas, leurs voisins du Sud, et s’apprêtait à conquérir celui des Incas. Le souverain inca Viracocha prit la fuite avec son fils, l’héritier du trône, tandis qu’un autre de ses fils, Inca Yupanqui, réunissait autour de lui tous ceux qui préféraient tenter de s’opposer à l’invasion des Chancas. Contre toute attente, l’affrontement tourna à l’avantage des Incas qui anéantirent les envahisseurs. Devenus maîtres d’un vaste territoire, les Incas y établirent leur domination par des alliances et par la force. Inca Yupanqui s’empara du pouvoir et devint, sous le nom de Pachacuti, le premier souverain inca historique du futur Tawantinsuyu, l’empire des quatre quartiers, qui, entre 1438 et 1532, avant l’arrivée des conquistadores espagnols, unifiera une dernière fois les Andes centrales.
Encyclopédie Universelle. 2012.